Agresser la démocratie sociale, faire insulte à ses représentants, n’est pas digne du débat républicain que méritent nos concitoyens. Deux événements récents sont curieusement concomitants et je me dois de les dénoncer.
D’abord la diffusion illégale du contestable rapport d’enquête parlementaire sur le financement des organisations syndicales, dit « rapport Perruchot », et son instrumentalisation.
Et le même jour, les propos provocateurs du candidat de l’UMP, Nicolas Sarkozy, lors de son meeting du 16 février à Annecy, sur les « élites politiques, économiques, administratives et syndicales », réduites à des castes, qui ne sauraient produire que des « compromis boiteux ». Une attaque rééditée depuis.
Le rapport Perruchot jette l’opprobre sur les organisations syndicales. A le lire, elles seraient dirigées par une élite déconnectée de la réalité. Au mieux des profiteurs. Au pire des corrompus.
Qu’importe qu’une organisation comme la CFDT publie chaque année ses comptes depuis douze ans, comptes qui sont consolidés et certifiés depuis l’exercice 2009.
Qu’importe que nous ayons obtenu, par la négociation transposée en loi en 2008, d’étendre cette transparence à tout le mouvement syndical et patronal : les comptes certifiés des syndicats sont maintenant publiés au Journal officiel.
Qu’importe que le chiffre de 4 milliards d’euros de dépenses annuelles d’activités syndicales, livré en pâture dans la presse, ne sorte de nulle part. Il comprend même pour l’essentiel, dit le « vrai-faux » rapport, la valorisation des heures de délégation des représentants des personnels dans les entreprises et les administrations.
Odieuse confusion ! Les députés auteurs de ce rapport accepteraient-ils que l’on compte leurs indemnités d’élus dans le financement de leur parti politique ? C’est pourtant bien de cela qu’il s’agit. Et il s’agit d’un jeu dangereux, que de s’attaquer aux moyens mis à disposition des représentants élus des travailleurs. Car au-delà, c’est la démocratie représentative qui est attaquée par ricochet et marquée du sceau de la suspicion.
Odieux soupçons, quand un journal télévisé de 20 h s’ouvre sur des images de l’immeuble de la CFDT et parle d’un « trésor » de 300 millions d’euros. Alors qu’il est normal qu’une organisation syndicale âgée d’un siècle et forte de 800 000 adhérents, ait pu se constituer un patrimoine qui est également son outil de travail ! Quant à notre caisse de grève, comme le font la quasi-totalité des syndicats en Europe, elle est le fruit d’un engagement à l’égard de nos adhérents et d’une demande de leur part. Ils en sont les seuls contributeurs et les seuls bénéficiaires.
Mais qu’importe tout cela pour Nicolas Sarkozy qui fustige les prétendues « élites », et parmi elles les « élites syndicales », dans ses propos d’entrée en campagne. Dans le même temps, François Fillon y fait écho en signifiant à un journaliste qui l’interview qu’il fait lui aussi partie d’une élite médiatique. Le candidat et ses soutiens ont fait un choix : celui de s’attaquer aux corps intermédiaires – syndicats, médias, associations… - et donc à l’organisation même de notre République et de la démocratie.
Les immigrés, les étrangers, les assistés… et maintenant les « élites », syndicales, médiatiques ou autres… La majorité et son gouvernement se sont, au fil des ans, successivement attaqué à différentes catégories. Son candidat cherche maintenant à ébranler les corps intermédiaires pour instaurer un régime « idéal » débarrassé de contre-pouvoirs, régi par une démocratie directe où le peuple est conduit à plébisciter un président à partir de questions simplistes. Tout cela rappelle tristement les années 1930, ou certains régimes autoritaires passés ou actuels. Je le dis haut et fort : il y a danger !
Au moment où la France et l’Europe traversent une période difficile, où des décisions douloureuses devront être prises, la seule façon de préparer l’avenir est de rassembler, et non de monter les citoyens les uns contre les autres, ni de proférer des menaces dangereuses pour la cohésion sociale. Les pays qui s’en sortent le mieux dans la période, sont justement ceux qui respectent les organisations syndicales, et leur accordent toute leur place dans le redressement économique. Comme eux, il faut que la France construise un pacte social. Loin des tentatives de déstabilisation de ces derniers jours, qui visent à faire, dans un but électoral, des organisations syndicales les nouveaux boucs-émissaires.